Nicolas Craveiro : Des stades de foot aux ultra-trails, itinéraire d’un amoureux de la montagne.

Nicolas, lors d’un entretien, tu m’as glissé que tu aimais les très longues distances parce que tu étais trop lent pour performer sur les trails courts et tu m’as également dit que tu étais passé par un sport étude foot … cela veut dire que tu étais très lent sur les terrains de foot ?

Bon, je m’entends, quand je dis que je suis lent… ce n’est pas tout à fait vrai non plus ! Il faut relativiser. Le foot a été mon premier sport. J’ai commencé très jeune vers l’âge de 7 ans. Ensuite j’ai été repéré pour passer par un sport étude. J’ai développé dans ce sport des qualités physiques, entre autres, d’explosivité, d’endurance aussi. J’ai joué au foot jusqu’à 30 ans et j’ai arrêté parce que je m’étais blessé assez gravement aux deux genoux avec des ruptures de ligaments croisés. J’ai donc préféré arrêter les frais ! Avec le travail à côté, il fallait que j’arrête.

Parallèlement, j’ai un copain qui se mettait à la course à pied, et il m’a un peu embarqué avec lui. Nous avons commencé par le Semi-marathon d’Oloron. Et de fil en aiguille nous nous sommes dit, pourquoi ne pas essayer un marathon ?

Juste un petit retour sur la course sur route : est-ce que tu as gardé souvenir de tes temps sur semi ou marathon ?

Je n’avais pas du tout de repère de vitesse ni d’objectif de temps. Je crois que le Marathon de Paris nous l’avions couru en 3 H 20. Ce n’est pas mal pour une première expérience, mais vraiment nous n’avions pas de temps cible. Aujourd’hui, je n’ai pas non plus de repère sur ce type de course, je devrais valoir autour de 2 H 50, mais je crois que je ne le vérifierai jamais. A l’arrivée, à Paris, mon copain était un peu cuit, pour moi ça allait plutôt bien. Mais à cette époque-là, nous étions contents d’avoir couru un marathon, nous ne regardions pas le chrono. 

Tu as donc commencé par de la course sur route ?

Oui, nous courions sur la route. En même temps, je faisais beaucoup de randonnées. J’ai toujours adoré aller en montagne. Ma grand-mère habitait Arudy et mon oncle allait souvent sur le sommet à côté, le Rey, pour son travail. Il allait réparer un réémetteur et rénover une cabane avec des copains. Avec mon frère, nous étions tout petits, nous le cherchions à la jumelle sur ce versant de montagne. Ce sommet, le Rey, il m’a toujours fait rêver ! Ensuite, il nous amené en montagne, il nous a fait découvrir l’escalade. Il partait aussi sur des expéditions, il allait faire le Mont Blanc. Tous ces projets, tous ces récits, ça me faisait rêver ! 

Le copain avec lequel je courais aimait aussi randonner et nous allions souvent en montagne ensemble.

Après nos premières expériences sur des semi-marathons, nous sommes partis courir le Marathon de Paris. Ça s’est très bien passé. Mais la route, courir sur le goudron m’ennuyait. Quand, pour m’entraîner, je vais courir autour de chez moi, en ville ou en périphérie une heure sur le goudron, je trouve long. Je m’ennuie. Alors que tout à l’heure, je suis allé courir 5 heures en montagne, je me suis éclaté. C’est tellement différent, monter, descendre, j’apprécie les paysages autour de moi …

L’année où je cours le Marathon de Paris, j’ai un ami qui partait faire la « Diagonale des Fous », pour moi c’était vraiment un truc de barjot ! C’est ce que je lui disais. Je l’ai suivi sur le « live » de la course. Il abandonne sur Cilaos au 60ieme kilomètre. Un gros problème de genou. A son retour, il me disait qu’il tenait à revenir sur cette course, à arriver au bout et il me motivait pour que je vienne avec lui. Je lui répondais que pour moi la montagne c’était la randonnée mais que je ne courais jamais en montagne. Il a insisté pour me faire découvrir la course en montagne. Nous avons fait une première sortie ensemble. Je m’en souviens très bien : c’était depuis Gourette la boucle des lacs d’Anglas, d’Uzious, Au retour, franchement, j’étais enchanté et lui me disait que j’avais largement le niveau pour ce type de pratique. C’est comme ça que c’est parti…

C’est le moment où tu fais la bascule sur le trail …

Après cette première expérience de course en montagne, nous sommes sortis à plusieurs reprises. Et mon copain m’a relancé pour que nous nous donnions la Diagonale comme objectif. J’étais toujours réticent … et puis j’ai craqué : OK, ça marche ! 

Lui y est retourné en 2010, et moi en 2013. Pendant ces trois ans, j’ai couru en montagne. J’ai participé à pas mal de trails dans la région.

Tu es monté assez rapidement sur les longues distances ?

Assez vite, les trails sur des distances courtes ne m’ont pas intéressé. La course passe très vite. Par exemple sur ma première année, je cours le 75 des « Templiers », que je passe très bien alors que je n’étais pas dans un contexte personnel très favorable. J’ai mis le dossard alors que je n’arrivais pas à m’entraîner. 3 jours avant, j’avais décidé de ne pas le courir et c’est mon pote qui m’a motivé … j’ai même fini devant lui …

Cela veut dire que tu avais de grosses aptitudes

Oui, sur le long, je suis endurant, j’aime ça !

Tu évoquais tes blessures aux genoux, tu en as gardé des séquelles ?

Je ne ressens aucune douleur. En trail, les articulations sont évidemment très sollicitées, mais non, ça passe bien. C’est plus le dos qui a souffert, notamment après la « Diagonale des Fous ». Mais je me suis bien remis. En fait, je crois que depuis que je travaille avec Nicolas Boyer, c’est-à-dire depuis 2013, non seulement j’ai bien progressé, mais en plus je ne me blesse pas. Le feeling est tout de suite passé entre nous. Max Cazajous est le plus ancien coureur à travailler avec lui et ensuite c’est moi. 

C’est cette collaboration qui t’a amené à ton niveau actuel ?

C’est évident. Il me connaît parfaitement, il sait jusqu’où je peux aller, Il calibre parfaitement les contenus de mes séances. Vu de l’extérieur, par exemple, lorsque je pars pour un entraînement de 3H30 en montagne, tout le monde voit que je suis en montagne pendant ce temps et que je cours. Mais en fait à l’intérieur de ce temps, il peut y avoir une grosse séance de 1H30 dans des bosses. Avec de l’intensité sur les côtes. Ce n’est pas une allure comme aujourd’hui où j’ai fait 5 heures et demie de balade. 

Nicolas m’apporte cet aspect qualitatif, cette précision par rapport à mes besoins, à ma progression dans ma saison en vue de mes objectifs. C’est aussi la motivation quand je n’ai pas envie d’y aller. Parfois, tu te dis, mais qu’est-ce que c’est que cette séance de malade qu’il me propose aujourd’hui ? Mais quelque part, tu dois lui rendre des comptes… Tu la fais, tu es super content, tu l’as rentrée … Tout s’est bien passé. C’est comme ça que tu arrives à te motiver, à avancer et tu progresses. Ce n’est pas en courant tout le temps à la même vitesse que tu progresses, même en faisant de gros volumes. C’est cette recherche de la précision qui fait progresser en trail, en course à pied, mais c’est vrai dans toutes les disciplines sportives. Le fait de cibler des paramètres très spécifiques, de varier les contenus permet d’avancer dans la performance. 

Cela représente un volume d’entraînement très conséquent …

Oui, c’est beaucoup. Six jours sur 7. Quelquefois, je double : je vais courir, je vais rouler. Certains jours, il m’arrive de doubler en montagne : je fais une séance de 4 heures, le matin, je coupe une grosse heure, je casse la croûte et je repars pour une séance de trois heures. C’est pour faire du volume, s’accoutumer aux efforts longs, mais en variant les contenus au niveau des allures. Il peut m’arriver de ne pas couper pendant dix jours.

Comment un tel volume d’entraînement peut-il être compatible avec ton activité professionnelle ?

Je donne à l’avance mon emploi du temps professionnel à Nico avec mes horaires et lui me construit mon planning, les séances avec les contenus spécifiques de chacune d’elles. Je fais apparaître mes rendez-vous, mes disponibilités : là j’aurai 3 heures de temps, là, deux heures… 

Parfois des séances intègrent aussi le déplacement. Par exemple, il m’arrive de partir de chez moi, à Pau à vélo, je vais jusqu’à Pierrefitte chez Nicolas. Je me change, je pars pour une séance de trois heures en montagne, je récupère le vélo et je rentre à la maison. Voilà un exemple de séance qu’il peut me concocter. Il faut vraiment avoir confiance en ton entraîneur et aux bienfaits de ses séances pour avoir envie de partir sur un tel entraînement !

Je travaille à l’aéroport de Pau, je suis responsable du parking des avions. Nicolas me dit que ce travail m’a certainement endurci parce que je suis tout le temps dehors quelle que soit la météo, qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il fasse froid, que ce soit la canicule …

Et puis il y a aussi le partage de sorties avec ma compagne qui n’est pas traileuse, mais elle aime randonner. Nous nous organisons des journées en montagne où nous nous donnons des points de rendez-vous, sur un sommet par exemple, puis je repars sur une boucle et on se retrouve pour terminer la rando ensemble. 

Une telle exigence d’entraînement cela passe par une hygiène de vie irréprochable ?

Avec ma compagne, nous ne mangeons pas n’importe comment. Mais nous ne nous prenons pas la tête non plus ! La qualité de notre alimentation est totalement intégrée dans notre vie de tous les jours, dans nos habitudes. Je ne pèse jamais ce que je mange. Avec ce que je brûle comme calories, il faut que je mange. Je suis un gros mangeur, même si cela ne se voit pas comme ça ! Parfois des gens sont étonnés de voir les quantités de nourriture que j’ingurgite. Mais j’en ai besoin ! Pendant une année, je me suis fait ch… à faire très attention à ce que je mangeais. Pendant que mes collègues au travail faisaient un repas tartiflette, je leur disais non, moi je vais manger mes filets de poulet et mes crudités… Au bout d’un moment, j’ai trouvé ça trop lourd, cela ne servait à rien. Je ne suis pas pro, je m’entraîne beaucoup, je fais de très grosses courses, mais je le fais parce que j’aime ça, par plaisir !

Tu considères que tu fais déjà assez de sacrifices pour t’entraîner ?

Encore une fois, c’est une passion. Mais ça prend du temps. Tu crées de la fatigue. Là, c’est le début de saison, les séances passent bien, mais à certains moments ça pique un peu … Il faut aussi dire que je n’habite pas au pied de la montagne, donc aller sur mon lieu d’entraînement implique souvent un déplacement de trois quarts d’heure de route. Cela vient s’ajouter à la difficulté de la course. Quand je commence à 5 Heures le boulot, cela veut dire lever à 4 heures, travail terminé vers 13 heures, partir sur la Vallée d’Ossau, parfois 4 ou 5 heures de montagne … C’est plus facile sur les jours de repos. Je travaille soit de matin soit d’après-midi.

Être endurant, c’est aussi être capable d’endurer la fatigue, les douleurs. La Swiss Peacks, 360 km, cela représente quel temps d’activité ?

Entre 100 et 110 heures de course. 4 jours, 4 jours et demi. 

Comment gères-tu le sommeil sur un tel ultra ?

En ce qui concerne le sommeil, c’est variable. C’est maximum une heure et demie. Sinon, ce sont 20 minutes de temps en temps. Pour les 1 H et demi, il faut que je trouve un endroit adapté, confortable pour dormir. Ces 20 minutes, requinquent très bien. C’est mieux que si tu faisais une sieste de 3 quarts d’heure. Nous avons parlé avec Nicolas d’essayer de trouver des pistes pour travailler cette dimension du sommeil avec plus de précision. Mais pour le moment, je n’ai pas trouvé de sources d’information. 

Aujourd’hui, selon toi, quelles sont tes marges de manœuvre pour continuer de progresser ?

Peut-être sur cette question du sommeil par exemple. Sinon, continuer sur les axes de préparation définis avec Nico. Cela me convient bien. Quand je suis parti au « Tor des Geants », je n’étais pas en confiance. Je ne me blesse quasiment jamais et là je me suis blessé bêtement et au mauvais moment. Au mois de juillet, j’ai fait une sortie de 12 heures en montagne, je redescendais du col du Lurien vers le lac de Fabrèges, il avait plu toute la journée, j’ai glissé sur un caillou et mon genou a tapé contre un rocher. Je me suis fait un œdème. Je n’arrivais plus à courir, la marche était aussi très douloureuse. Je suis descendu vraiment à l’arrache. 

Pendant un mois, je n’ai rien pu faire. Je n’arrivais même pas à rouler. J’étais sensé courir à Luchon un 70 bornes et ensuite revenir de Luchon vers ici par la montagne pour faire un gros volume. C’était mon dernier gros bloc en juillet et je n’ai pas pu le réaliser. J’ai repris l’entraînement le 27 juillet ; je disais à Nico que cela ne valait pas la peine que j’aille au « Tor » avec cette reprise trop tardive. Et finalement j’y suis allé et ça s’est bien passé. Tout cela pour dire que malgré toute cette préparation, calibrée, précise, progressive, tu n’es pas à l’abri d’un accident, d’une blessure qui en découle et qui peut tout perturber.

Cette blessure accidentelle a entrainé une coupure dans ta préparation, mais cette coupure n’était pas volontaire. Est-ce qu’il y a des moments dans l’année où tu coupes ?

J’ai une sensation bizarre après une coupure. J’ai souvent du mal à repartir, à replonger. Je ne me sens pas bien. Pourtant ces coupures ne sont jamais très longues. La saison dernière après le bloc de l’Euskal et de Hautacam, Nico avait positionné une semaine de repos. A la reprise, j’avais l’impression d’être revenu au mois de décembre. Il m’a fallu quinze jours pour retrouver mes sensations. Je n’avais rien dans les jambes comme si je m’étais arrêté pendant un mois. Cette reprise est tellement difficile pour moi, que j’en arrive à ne souhaiter couper qu’un jour par ci par là. Même si c’est une sortie très tranquille, je préfère ça à ne rien faire. Je suis mieux. Même en toute fin de saison après la dernière course, nous positionnons une coupure de 15 jours. Je n’arrive pas à ne rien faire. Je sors un peu, mais très cool.

Tu peux définir ce qui est « très cool » pour toi ?

Très cool, c’est une sortie en footing léger de 1 H, 1 H 30, une petite sortie vélo juste pour faire tourner les jambes … 

Pour en savoir plus sur les courses dont parle Nicolas :

– Le Tor des Géants : https://www.torxtrail.com/fr 

– La Swiss Peacks : https://swisspeaks.ch/360k/ 

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