Jérôme qu’est ce qui t’a poussé à participer à ce projet « Go Fight Win 2023 » avec ce groupe « Solidaires by Esprit Sports » ?
Avec Nicolas (Boyer), nous avons constitué un bon petit groupe de coureurs. Les relations vont bien au-delà des plans d’entraînements et des sessions en commun. Nous sommes devenus des amis. Dans ce groupe, tu as des profils assez différents finalement, avec des histoires sportives différentes. Mais tout le monde se retrouve autour de ce projet-là.
Olivier (Couilhen) est à l’origine du projet. Il voulait aller à la Réunion. Il a tâtonné un peu sur différentes possibilités. Laurent Castagné tenait aussi à courir la Diagonale. Moi, j’y suis déjà allé et ce n’est pas forcément la course pour laquelle je sacrifierais tout pour y retourner. Mais je leur avais dit, j’y repars uniquement dans le cadre d’un projet collectif, avec un groupe comme celui-ci. Aller accompagner Laurent, Céline, Olivier pour leur découverte de cette course, c’est une situation de rêve. Être avec eux pour vivre une telle expérience, c’est vraiment sympa aussi ! Pour moi, être impliqué de différentes manières : coureur, accompagnateur, entraîneur, c’est original !
Dans un deuxième temps, Olivier s’est tourné vers ces dossards solidaires. Il était parti sur un panel de choix d’associations. Il fallait que nous puissions trouver une cause qui nous parle vraiment pour que nous puissions nous engager. Pour le coup, le choix de « Imagine for Margo » a convenu à tout le monde et Olivier s’est trouvé embarqué dans quelque chose qui a tout de suite pris une autre ampleur…
Et il a su vous entraîner avec lui …
Oui. Et j’en suis arrivé à faire presque sa mauvaise conscience dans tout ce qu’il y a à entreprendre pour mener à bien toutes ces actions : je suis obligé de lui rappeler que pour aller courir la Diagonale, il faut qu’il s’y prépare physiquement aussi ! Il ne faut pas que son caractère qui le pousse à tout faire en grand ne l’empêche de s’entraîner. Le mécénat, les partenariats, c’est très complexe. Je commence à connaitre un peu ces milieux, tu peux avoir des promesses mais tant qu’elles ne sont pas actées, tu ne peux être sûr de rien.
Olivier, en tout cas, fait un boulot énorme, c’est impressionnant ses capacités et ses compétences d’aller chercher un tel ou un tel pour participer au projet. C’est pour ça que je m’autoriserai à le rappeler à l’ordre pour le domaine sportif. Je sais qu’il me fait confiance.
L’idée première c’était d’aller courir la Diagonale. La volonté c’est d’y aller les six, nous constituons un collectif. Financièrement, si tout l’argent va au soutien de « Imagine for Margo » et que nous pouvons avoir 6 dossards, tout ira bien. Cette association mène des actions d’envergure pour une cause, la lutte des cancers pédiatriques, qui mérite d’être accompagnée.
Notre récompense, ce sera de nous retrouver sur la Diagonale tous ensemble. C’est dans cet esprit qu’avec Laurent (Castagné), nous avons présenté notre projet à notre hiérarchie (ils sont enseignants) parce que nous rencontrions des difficultés de dates pour le départ. Nous avons voulu anticiper le besoin de deux jours avant les vacances scolaires. A priori, ce devrait être possible.
Lors de nos dernières rencontres, tu nous avais raconté tes championnats du monde réussis sur 100 km et ta volonté de tenter une expérience sur un 24 Heures. Quel sera donc ton programme pour la saison qui commence ?
Ma réponse va être un peu surprenante, mais mon année, pour le moment, elle se termine en mai sur un 24 Heures. Ce seront les Championnats de France à Albi. C’est une expérience que je n’ai pas pu finaliser la saison dernière. Cette compétition sera un peu la clé de l’ensemble de ma saison : toute ma préparation doit m’y amener dans les meilleures conditions possibles et du résultat dépendra ma deuxième partie de l’année.
Pour le moment, avec Nicolas (Boyer) mon entraîneur, nous avons décidé que je restais sur des dix kilomètres, je travaille la vitesse. Je ne cours rien de long, je ronge mon frein. Je suis en mode je reconstruis les genoux, je préserve les articulations.
Mon premier rendez-vous important sera le Triathlon de la Pyrénéa, au mois de mars. J’axe ma préparation sur cette compétition parce qu’elle me permet de développer une bonne forme physique en appui sur trois disciplines complémentaires : la course à pied, le vélo et le ski de randonnée. C’est sympa aussi parce que cela permet de réaliser du volume d’entraînement sans sombrer dans la monotonie.
Ensuite, au mois d’avril, un mois à peu près avant les 24 heures, je vais participer à un Ultra en Croatie, l’Istria. Mais entre la Pyrénéa et la Croatie, nous avons glissé le Marathon de Biarritz. Là, l’objectif sera de travailler la technique de course, la gestuelle, l’allure sur le goudron.
Après la Pyrénéa, j’aurai le temps de positionner un bloc de deux à trois semaines de montagne pour préparer la Croatie. Cette course sera pleinement intégrée dans ma préparation.
Tu parles d’un Ultra avant les championnats de France de 100 kilomètres …
On va tenter un coup en fait… Je vais courir un 160 km, un mois à peu près avant les 24 Heures. Après la Croatie, ce sera de la route, mais j’ai pris l’option de courir finalement assez peu sur la route. En analysant comment se passent ces épreuves de 24 heures, tu te rends compte qu’au niveau des abandons, tu as pour 80%, un genou ou une hanche qui lâchent. Au niveau articulaire, cela ne s’entraîne pas. Ce qu’il faut, je crois, c’est arriver sur l’épreuve sans aucun petit pépin. Sur d’autres distances, tu peux tenir avec un petit souci articulaire, tant que la durée n’est pas trop longue. La douleur sera moins forte ou en tout cas moins longue à supporter. Là, sur un 24 heures, si j’arrive avec des tendons légèrement inflammés, cela ne passera jamais.
D’accord, tu souhaites te préserver en évitant un peu le goudron. Mais pourquoi choisis-tu d’aller en Croatie ?
C’est un ultra très roulant, ça va courir très vite. Par expérience, je sais que les très bons coureurs, ils seront nombreux parce que c’est une grosse manche qualificative pour l’UTMB, vont partir comme des dingues à plus de 18 à l’heure. Moi, j’ai de la vitesse, que je travaille sur mes dix bornes en ce moment. Je pourrais être avec ces mecs-là sur les dix premiers kilomètres, mais je ne vais pas prendre cette option-là. Je vais partir comme sur un 24 Heures. Je vais démarrer peinard. Cependant, je vais essayer de faire ce que je veux réaliser sur les 24 H, c’est-à-dire être hyper régulier, lisser mon effort le plus possible, avec un delta entre la vitesse de départ et la vitesse d’arrivée le plus faible possible et la moyenne la plus élevée possible. Partir à 13, finir à 11, des allures de cet ordre. Et non pas débuter à 18 et finir à 7, ce qui serait improductif pour la préparation des 24 H.
L’option, c’est donc d’être en bonne forme et ne pas avoir de douleur, et tout envoyer le jour J. C’est pour cela que nous avons fait le choix de cette course, ce sera une vraie répétition pour Albi, avec moins de lassitude dans le cadre de la préparation.
Après cet ultra tu vas avoir besoin de couper ton entraînement ?
Si tout se passe bien, ce devrait être une microcoupure. Comme je te l’ai dit, c’est un 160 plutôt roulant. Au niveau de la durée d’efforts, cela devrait correspondre à moins de 24 heures. Par expérience, une fois rentré, au bout de 3 jours, je peux faire un peu de vélo. Je devrais récupérer assez rapidement. Une semaine après, je devrais pouvoir reprendre un peu de route. Et là ce sera le bloc pour préparer les 24 heures. Les allures spécifiques, du goudron avec des sorties longues …
Et ensuite ce sera l’échéance du mois de mai, avec les championnats de France de 24 Heures …
Les 24 Heures se déroulent à Albi, ce n’est pas trop loin, cela va favoriser l’organisation pour mes accompagnateurs. J’ai Laurent (Castagné) qui vient avec moi. Il commence à bien maîtriser les longues distances et il me connaît bien, en plus. J’aurai aussi dans l’assistance un très bon copain kiné qui est sur Toulouse et avec qui j’ai fait pas mal de compétitions. Peut-être que Nicolas sera là aussi. Cela me permettra d’avoir une structure pour strapper, masser, préparer les ravitaillements, les aspects matériels. A moi de gérer le côté mental. Ce copain aura à gérer de remettre la rotule dans l’axe et tous ces types de soucis… C’est très rassurant cette assistance pendant la course !
Evidemment, les France à Albi seront qualificatifs pour les Championnats du Monde des 24 heures ?
Oui. Les règles viennent de sortir. Il y a six places qualificatives. Les minima sont à 255 kilomètres. Le champion de France 2022 est déjà qualifié. Il a réalisé 256 km, c’est pour cela que les minima sont à 255.
Ce sont des minima accessibles selon toi ?
Sur l’épreuve que je comptais courir en fin de saison dernière, nous visions 273 km … 255, honnêtement, si tout se passe bien, s’il n’y a pas de souci de blessure, cela devrait passer. Evidemment, cela sera soumis aussi aux conditions météo, mais 255 kilomètres, cela me parait constituer un objectif atteignable.
J’aimerais réussir la même performance que sur 100 kilomètres, c’est-à-dire me qualifier pour Taipei, à Taiwan, pour les Mondiaux au mois de décembre.
Cela veut dire que dans la saison, ces championnats du monde sont positionnés après la Diagonale ?
Oui, mais ces 24 Heures, c’est tellement … comment dire, ingrat, c’est tellement particulier… Je suis des coureurs qui préparent cette épreuve le réseau Strava. En ce moment, ils font deux heures de route le matin, deux heures de route le soir … Bon, allez-y ! Avec Nico, nous n’avons peut-être pas la bonne stratégie, mais à moins d’avoir un organisme particulier, passer autant de temps sur le goudron nous semble inconcevable. Du coup, la Diagonale, ce sera très particulier, mais positionnée un mois et demi avant les mondiaux si j’arrive à me qualifier, cela laisse le temps de faire un gros bloc de montagne pour m’y préparer. Cela laisse le temps de participer, de se reposer, de refaire un peu de route.
La Diagonale sera donc aussi intégrée pleinement dans ta préparation pour les Mondiaux ?
Exactement, de la même manière que j’ai positionné la Croatie avant les championnats de France.
Après la Croatie, je serai sur du long, du volume. On évite toutes les problématiques de gestes répétitifs en travaillant en montagne. On évite les chocs. Pour préparer l’Ultra, je vais faire des blocs de 7, 8 heures de montagne. Je suis beaucoup moins abîmé que sur le même temps de course sur le bitume.
Comment comptes-tu gérer l’après championnats de France de 24 heures à Albi ?
Après le 24 Heures, nous avons considéré, avec Nicolas, que le mois qui suivait, j’étais totalement out. Comme si j’étais blessé. Je n’ai rien prévu … C’est un peu comme au poker : je joue tout sur Albi ! Normalement je vais être un mois, un mois et demi en carafe. Si ça se passe normalement, si j’arrive au bout, qualifié ou pas, je ne peux pas envisager participer à un trail comme le Grand Tour de la Vallée d’Ossau, même en le courant cool.
Pour cette période qui suivra les 24 heures, c’est-à-dire le début de l’été, nous avons des retours avec Nicolas Craveiro, qui montrent qu’après des courses un peu extrêmes comme le Tor des Géants, c’est dur, tu rames. De fait, nous avons décidé que sur l’été je ferai beaucoup de vélo. L’idée, ce sera de changer totalement de discipline, de ranger les baskets. Par expérience, je me rends compte que pour repartir sur des gros blocs d’entraînement, sur une discipline, il faut vraiment avoir envie d’y retourner. Pour le moment, tout tourne autour des 24 H, c’est mon objectif prioritaire. Après Albi, je reprendrai des activités que j’aime : faire du vélo, monter des cols, faire de l’itinérance à vélo. Si j’arrive à bien m’aérer en juin et juillet, je suis sûr que j’aurai envie de repartir en montagne en août pour préparer la Diagonale.
Il faut aussi envisager que je n’arrive pas à me qualifier pour Taipei ! Du coup, ma fin de saison serait alors constituée par la participation à la Diagonale, mais de manière hyper compétitive. Dans ma préparation, je pense que j’irais courir des trails au Pays Basque. Mais tout cela sera décidé après Albi.
Autre éventualité à ne pas écarter non plus : j’arrive à me qualifier pour les mondiaux et le staf de l’Equipe de France me dit qu’il est hors de question que je participe à la Diagonale parce que c’est vraiment incompatible avec le stage, et le déplacement à Taiwan … Si c’est le cas, j’irai à la Diagonale pour accompagner les copains du groupe et je me ferai aussi plaisir dans cette action.
Voilà un programme de saison bien copieux, avec des objectifs élevés ! Mais au-delà de ton propre vécu de coureur, tu coaches également certains de tes collègues de l’équipe « Solidaires by Esprit Sports ». C’est un contexte plutôt original dans le cadre de votre projet.
Au niveau du coaching, il me semble que l’accompagnement que nous essayons de mettre en place est facilité par une connaissance de plus en plus étroite des coureurs que nous suivons. Par exemple, j’essaie de développer une cohésion entre ces coureurs qui sont aussi amis entre eux et pour cela, chaque fois que cela est possible, je positionne des temps communs d’entraînements sur les samedis et les dimanches. Le reste de la semaine, les contenus sont individualisés et matériellement ils ne peuvent pas s’entraîner ensemble. Par exemple, comme ils sont inscrits à la Pyrénéa, ce dimanche, ils vont travailler ensemble l’enchaînement vélo / ski sur Gourette. C’est un dispositif qui fonctionne très bien en ce moment. Mais après ce triathlon, ils vont partir sur des programmes de courses, des objectifs, totalement différents, et là, je vais revenir sur des adaptations plus individualisées. Cela va être des contenus en fonction de la douleur au pied de Laurent, des disponibilités de Céline par rapport à son travail …
Je leur dis souvent, préparer des documents avec des contenus de séance, ce n’est pas le plus compliqué finalement. Ce qui est complexe, c’est cette adaptation à la fois aux besoins et aux possibilités de chacun dans son emploi du temps hebdomadaire. Parfois, je me sens plus planificateur, organisateur de soirée, qu’entraineur !
Nous ne sommes pas Chris Froome ou Lance Armstrong de la grande époque ! Nous avons des valeurs à respecter, des engagements à assumer, mais nous ne pouvons pas être hyper précis non plus. Au niveau des séances d’entraînement, du moment que des rythmes sont respectés, que des repos sont respectés, que nous construisons une planification avec des contenus cohérents sur la saison, les progrès viennent tout naturellement. Après, de là à regarder si 200 mètres ont été courus trop rapidement dans la séance, est ce que c’est vraiment important ? … Avec le recul, je ne crois pas. Certaines séances sont primordiales. Ce sont les séances d’endurance. Nous y sommes très attentifs avec Nicolas. Parfois je leur demande de ralentir. A partir du moment où toutes ces séances de fond, VMA, fractionné sont réalisées correctement, l’essentiel est en place. Nous essayons d’apporter de la précision, mais il ne faut pas être dans l’excès. Ce qui est important c’est de les garder motivés !
Pour en savoir plus sur les courses dont parle Jérôme :
Le triathlon de la Pyrénéa : https://www.pyreneasports.com/la-pyrenea-triathlon/course/
Le Marathon de Biarritz : https://www.marathonbiarritz.com/
L’Istria by UTMB (Croatie) : https://istria.utmb.world/
Les championnats de France de 24 Heures (Albi) : https://www.albi24h.fr/
La Diagonale des Fous : https://www.grandraid-reunion.com