Jérôme Mirassou : d’une première expérience sur 24 Heures à Albi aux Mondiaux de Taïpei.

« Je me doutais que ce serait difficile … c’était difficile ! »

Nous avons échangé avec Jérôme quatre jours après son retour des Championnats de France de 24 Heures à Albi. Il est revenu de cette première expérience sur cette discipline avec une jolie médaille d’argent et une sélection pour les championnats du Monde qui, il ne s’en cachait pas constituaient le gros objectif de sa saison.

Jérôme, une poignée de jours après ces 24 Heures, comment te sens tu ?

Là, je suis vraiment content de ce que j’ai réalisé pour cette première sur des 24 Heures. Cela valide ma préparation, la stratégie d’entraînement que nous avions mise en place avec Nicolas (Boyer). Je suis évidemment hyper heureux que les sélectionneurs de l’Equipe de France aient fait appel à moi pour les Mondiaux à Taïpei qui se dérouleront en décembre. Mon objectif est atteint en ce qui concerne cette sélection.

Sinon … Je me sens fatigué ! Je ressens un gros besoin de repos … Je me doutais que ce serait difficile … C’était difficile ! Les 24 Heures, c’est vraiment une épreuve à part … Quand je vois certains coureurs qui prennent le départ … pour moi, c’est du grand n’importe quoi … Ces personnes ne perçoivent pas du tout le niveau de difficulté de cette épreuve. C’est un peu comme quand, sur certains Ultras, tu as des concurrents qui sont arrêtés par les barrières horaires dès le premier pointage. C’est quelque chose qui m’étonne toujours.

Les 24 Heures sont une compétition très particulière dans le monde de l’athlétisme et de la course à pied…

Pour moi qui suis issu du monde du trail, le passage sur les 100 kilomètres avaient déjà été surprenant par certains côtés … Mais en effet, les 24 Heures, c’est encore autre chose ! L’épreuve était organisée sur le stade de rugby d’Albi, sur une superbe piste d’athlétisme et autour de terrains d’entrainement annexes. Cela constituait une boucle de 1500 m, avec donc ces 400 mètres de tartan et 1100 mètres de goudron.

Sur le bord de la piste tous les services étaient disponibles pour les coureurs et leur encadrement : la zone sanitaire, la zone médicale et la zone des ravitaillements. L’organisation était vraiment parfaite pour tous ces domaines. Les accompagnateurs disposaient de tout le mobilier et des installations nécessaires pour préparer les ravitaillements et les équipements.

J’ai bouclé 158 tours de ce circuit. Strava m’a indiqué que je suis la « local légend » de la piste d’athlétisme !

Quelles étaient les conditions météorologiques pendant la compétition ?

Dans la journée, les thermomètres affichaient sur les panneaux autour de la piste 35 degrés et 47 degrés au niveau de la piste. La nuit, la température n’est pas passée au-dessous de 24, 25 degrés. Je n’ai couru qu’en teeshirt. Sur la dernière heure, j’étais littéralement cuit !

Cette grosse chaleur qui a régné sur Albi a été un facteur limitant très important au niveau de la performance. La limite pour les sélections pour les Mondiaux était de 255 km. J’ai parcouru 235 kilomètres, mais je suis certain qu’avec une température plus clémente, que j’avais cette barrière dans les jambes sans problème.

Es-tu satisfait de ta préparation au regard de ton vécu pendant la course ?

Ces 24 heures étaient au centre de ma préparation. J’ai essayé d’anticiper le plus possible les différents paramètres de cette compétition, il n’empêche que j’ai tout de même été surpris par certains aspects. Je m’attendais à une épreuve très longue, avec la monotonie engendrée par ce type de course sur le goudron en ultra long. J’avais eu un avant-goût de ces caractéristiques sur les 100 km courus ces deux dernières saisons. Je m’étais préparé un découpage du temps. J’aime bien écouter de la musique ou des podcasts lorsque je cours. J’avais anticipé toute une playlist. Le jeudi précédent la compétition, je n’avais pas écouté une émission que j’apprécie beaucoup pour avoir le plaisir de l’écouter pendant la course … En fait, je n’ai jamais mis les écouteurs ! Je n’en ai pas eu le temps !

Pour quelqu’un qui n’a jamais couru ce type d’épreuve, il est difficile de te croire …

Je comprends ! Cela a été une surprise pour moi aussi ! Mais j’ai lu une interview de la fille qui termine seconde, c’est une passionnée de musique, elle adore en écouter pendant ses entraînements, elle a réagi comme moi. Elle n’a pas utilisé ses écouteurs de toute la course !

Pendant les 24 heures, je suis resté concentré sur mon allure de course, ce que je devais manger, boire. C’est fatigant mentalement, mais je n’ai pas du tout trouvé le temps long !

J’ai fait beaucoup de calculs aussi. Des calculs de moyennes, de vitesse…

Au bout de deux heures de course, je ne savais déjà plus où j’en étais au niveau de mes ravitaillements. Ce sont mes accompagnateurs qui ont pris le relais sur cette gestion. Ils ont joué un rôle hyper important à ce niveau. Sans eux, je ne vais pas au bout. C’est un paramètre très important pour la performance.

Par exemple, à un moment, ils ont limité ma consommation en eau, alors qu’il faisait très chaud et que je cramais sur mes passages sur la piste. Ils avaient repéré que j’étais sur une marge haute de consommation et ils savaient qu’en dépassant ces quantités, je prenais le risque d’être malade, d’avoir des problèmes digestifs. Tout ça, c’est grâce au vécu que Benji (Séguélas) et Céline (Bérécochéa) ont construit au travers de leur propres compétitions et ils étaient en permanence en contact avec Nicolas.

Ces dimensions de nutrition et d’hydratation, nous les avions réfléchies en amont dans le cadre de la préparation de la course. Heureusement que nous nous connaissons bien depuis un moment et que nous avons des relations d’amitié, parce que c’est tout de même une sacrée pression pour eux. Ils jouent un rôle très important et ils savaient les enjeux que cette compétition revêtait pour la suite de ma saison et une éventuelle sélection pour les Mondiaux.

La configuration du circuit, le fait qu’il de mesure que 1 Km 500, donne aussi des caractéristiques très spéciales à cette compétition. Par exemple, un concurrent a choisi de partir sur une allure assez nettement supérieure à la mienne, il m’a rapidement pris un tour … puis il a couru avec moi. Je ne comprenais pas trop cette attitude, il m’a expliqué que c’était une stratégie de course qu’il avait élaborée avec son entraîneur qui s’était rendu compte que j’étais capable de rester régulier sur mon allure, ce que j’avais fait sur mes 100 km. Ce coureur n’a pas pu s’empêcher d’accélérer, notamment quand il a vu que d’autres coureurs nous doublaient, il m’a à nouveau pris un tour, puis 2 … puis, bien évidemment il a explosé ! Il est certainement talentueux, mais il faut qu’il apprenne à se canaliser. Ce qui prime sur l’ultra long, c’est la capacité à être régulier, à respecter les allures que tu as prévues dans ta préparation. Il ne faut pas se caler sur les autres, mais bien garder la ligne que tu t’es tracée.

Cette première expérience, m’a permis de connaître cette épreuve en la vivant. Tu as beau te préparer, réfléchir, prendre des informations auprès de personnes qui ont ce vécu, il faut vraiment le vivre dans ta chair pour assimiler les exigences d’une telle épreuve.

J’ai eu mal aux jambes assez rapidement, au bout de 5 heures. J’ai eu je pense une petite contracture à une cuisse, Flo, mon copain kiné m’a pris en charge et m’a massé. Cette douleur est heureusement passée. Mais je n’ai jamais eu mal aux jambes dans aucun trail au bout de 5 heures de course…

Selon toi, quelle était la cause de ces douleurs ?

Je pense que c’est le goudron avec le facteur aggravant de la chaleur.

Heureusement que j’avais mis des bas de contentions.

Je pense que vais devoir faire un travail de test de chaussures différentes et surtout envisager d’effectuer plus de changements de chaussures pendant les 24 Heures. A Albi je n’ai fait qu’un seul changement, vers la mi-course, mais j’ai ressenti immédiatement un confort d’amorti qui était revenu. Cela a été impressionnant. Je pense qu’à l’avenir j’effectuerai 3 à 4 changements pour bénéficier de ce confort tout au long de la course.

Tous les détails doivent être pris en compte puisque tout est répétitif. Le virage pour entrer sur la piste que tu prends plus au large pour que ce soit plus confortable. Musculairement, tu ressens même les effets de la direction majoritaire des virages : par exemple, il y avait plus de virages sur la droite. Tu fais attention à essayer de bien garder la corde au maximum parce que sinon les écarts de quelques mètres multipliés par le nombre de répétitions prennent des proportions importantes. Tu fais attention à la petite margelle métallique qui est devenue de plus en plus saillante parce que deux cents coureurs y sont passés plus de cent fois dessus tout au long des heures …

J’ai essayé de courir le plus possible. Par exemple, pour me ravitailler, je marchais sur 5 mètres, la même chose quand je buvais, parce que repartir quand tu t’arrêtes devient un supplice au fur et à mesure de l’avancée des heures. Donc j’ai évité le plus possible de m’asseoir, pour m’éviter cette douleur.

Ce qui est propre à cette course et à ce parcours avec des boucles si courtes, c’est que tu es tout le temps en contact avec d’autres concurrents que tu doubles ou qui te doublent. Certains de ceux qui te dépassent semblent être plus à l’aise que toi. Il faut savoir ne pas y porter attention, parce qu’ils ont peut-être dormi 6 Heures pendant que toi tu tournais !

A un moment, un coureur est arrivé à ma hauteur, il a couru un tour avec moi, il m’encourageait, il voulait que je suive son allure … C’était un peu agaçant, parce que moi, je souhaitais rester sur mon allure et dans ma bulle. Ce coureur avait, en fait, couru 80 kilomètres de moins que moi … Il ne l’avait pas réalisé. Il a été sympa, il m’a appelé le lendemain pour s’excuser de son attitude qui avait pu me déranger dans ma course.

C’est vraiment très particulier. Le troisième a parcouru plus de kilomètres que moi pendant la dernière heure. Cela pouvait être très inquiétant pour ma deuxième place, mais là encore ce sont mes assistants qui m’ont rassuré : ils avaient les repères des écarts entre lui et moi. Ils savaient que la course était jouée et qu’il ne pourrait plus revenir, même si je terminais en marchant. Sans l’assistance, tu ne peux pas gérer tous ces paramètres, tu as trop de monde sur un si petit espace, ce ne sont pas du tout les repères que tu peux construire sur un 100 km ou sur un Ultra.

D’habitude sur les courses, sur les ravitaillements, je crois que je suis content de retrouver mon assistance, je balance souvent des blagues, je suis plutôt souriant. Là, je crois que je n’ai fait rire personne … J’avais du stress aussi sur ma gestion de course : par exemple, le fait de vouloir prendre la corde et que d’autres concurrents ne la laissent pas. A la longue, c’est un peu usant.

Les arrêts « au stand » pour les changements de chaussures ressemblent à ce que tu vois en Formule 1 ! Il faut tout bien faire, ne rien oublier, tout en perdant le moins de temps possible !

Bien remettre la puce du côté droit en la fixant correctement avec le système qui convient, régler parfaitement les lacets pour qu’il n’y ait pas de blessure, préparer l’eau … le tout sans s’asseoir … pour ne pas avoir à se relever !

Quelques heures après l’arrivée de ces 24 Heures, c’est la bonne nouvelle : tu es sélectionné pour les Mondiaux qui se dérouleront à Taiwan en décembre …

Pour les championnats du monde qui vont se dérouler à Taipei, la barrière avait été placée à 255 km. C’est une distance que je pensais pouvoir réaliser, sans me vanter, au vu de ma programmation d’entraînement. Aux France à Albi, la température était vraiment trop chaude pour réaliser cette performance, mais les sélectionneurs ont souhaité me repêcher et me prendre dans le groupe. En fait, ils me connaissent bien parce que c’est la structure qui suit les coureurs de 100 km et de 24 heures. Ils m’ont déjà accompagné sur les stages de préparation des championnats du Monde de 100 km l’an dernier. Ils nous font aussi confiance avec Nico, parce qu’ils ont questionné notre stratégie d’entraînement qu’ils semblent trouver pertinente. Ils savent que nous bossons plutôt bien avec de la cohérence dans ma préparation. Nous avons aussi tissé une relation de confiance et nous sommes à l’écoute des conseils qu’ils nous prodiguent. C’est donc un gros staf qui va nous accompagner avec une cellule médicale très complète, pilotée par un médecin avec des kinés, un ostéo, des infirmières qui vont nous accompagner sur des bilans mais aussi lors des stages de l’Equipe de France. Ils seront évidemment présents avec nous à Taipei pour l’assistance lors des Mondiaux.

J’ai évidemment été très heureux de ma sélection. Je sais que sur les réseaux sociaux certains n’ont pas manqué d’exprimer leur étonnement au vu de ma performance aux France, car même fort de ma deuxième place, je n’ai pas parcouru ces fameux 255 km.

Il est assez facile d’imaginer un gros état de fatigue à la fin de cette épreuve. Comment te sentais-tu à l’arrivée ?

Au bout de ces 24 heures, j’ai la chance de ne souffrir d’aucune blessure, c’est vraiment une chance. Je n’ai même pas eu une ampoule. Bon, musculairement, ce n’était pas très beau à voir … Heureusement que Céline et Benji étaient là pour m’amener à la douche, pour m’aider à me changer, pour m’amener jusqu’au podium et à la cérémonie protocolaire.

Le soir suivant et la nuit du lendemain, je n’ai pas réussi à bien dormir tellement les douleurs musculaires étaient fortes. Le lundi, je ne pouvais pas me lever tout seul. Sortir du canapé constituait un exploit !

J’ai perdu 3 kg pendant la course. Donc les jours suivant, je me suis abondamment réhydraté … Ce qui veut dire se relever la nuit pour aller aux toilettes …

5 jours après la compétition, j’avais toujours des courbatures.

Le mardi, à mon retour en classe, mes élèves m’ont assailli de questions sur la course, sur la distance que j’avais parcourue. Ils sont allés mesurer sur des cartes ce que cela représentait depuis leur école de Louvie-Juzon, en Vallée d’Ossau. Ils ont trouvé que cela correspondait à la distance pour aller jusqu’à Bordeaux. Ce qui les a impressionnés ! Ils m’ont aussi offert une journée plutôt cool dans une ambiance feutrée… Quant à moi, je me déplaçais de chaise en chaise …

Quel est ton programme après ces Championnats de France ?

Après Albi, le programme commence par un mois sans course à pied. D’abord deux semaines de repos complet, puis deux semaines avec des séances de vélo très cool de 1H30 à 2 heures. Pour le mois de juillet, ce sera de la course à pied très tranquille avec la Diagonale en vue.

Mais la Diagonale sera intégrée dans ma préparation, nous allons reprendre notre stratégie à l’identique comme l’Istria était entrée dans la préparation des championnats de France à Albi.

Cela veut dire qu’il faudra intégrer des blocs longs de montagne avant la Diag. Puis au retour de la Réunion, ce sera le goudron pour préparer les mondiaux en décembre.

A ce programme, il faudra aussi intégrer les stages avec l’Equipe de France. C’est quelque chose que j’avais beaucoup apprécié pour la préparation des mondiaux de 100 km.

Il faudra arriver à Taipei sans aucune blessure.

Pour en savoir plus sur les 24 Heures d’Albi :

https://www.albi24h.fr/